En faisant une promenade en bateau-mouche sur la Seine, mon petit-fils me faisait remarquer un bateau-bibliothèque : le bateau-livre (métaphore du Bateau-ivre de Arthur Rimbaud). Aussi je ne peux me retenir de vous partager ce poème de Marc-Alain Ouaknin, intitulé :

La Conjugaison 

Annonce de la météorologie nationale.

On prévoit beaucoup de pluie.

Mais alors vraiment beaucoup…

Noé prend les choses en main.

Il va s’occuper des mots.

 

« Comme les mots sont fragiles, dit Noé,

J’ai construit un bateau pour

pouvoir tous les accueillir.

C’est un bateau-livre ! »

 

Noé est fier de son bateau et il dit :

« Tu sais combien il mesure, mon bateau ?

Mon bateau, il mesure dit Noé,

300 coudées de long,

50 de large,

et 30 coudées de hauteur.

Si tu calcules avec une coudée à 50 centimètres,

tu vois un peu le grandeur de l’engin ! »

« Oui, dit le capitaine Noé,

j’ai mis tous les mots à l’abri

afin qu’ils ne soient

ni mouillés

ni noyés

ni délavés

ni décolorés.

Un mot enrhumé, ça s’entend mal.

Il a la voix sourde ou enrouée.

Et s’il éternue tout le temps,

On ne comprend pas ce qu’il veut dire.

C’est comme les mots qui toussent…

Les mots sont si fragiles !

Il y a les mots qui tombent malades,

qui ne vont pas bien,

qui n’ont plus la force

de chanter,

ni de marcher.

 

Il y a des mots aphones,

Des mots boiteux,

Des mots en difficultés,

Des mots introuvables,

et même des mots pour mots

sans oublier les mot à mot…

Bref, continue le capitaine,

J’ai pris les noms propres,

les noms communs,

les adjectifs

les pronoms en tous genre,

les points,

le virgules,

les points-virgules,

les accents,

les notes de musique

et les apostrophes

(j’ai un faible pour les apostrophes).

 

J’ai pris

Les verbes, les temps,

Même les plus récalcitrants.

 

Je les ai tous fait entrer dans le bateau.

Bien évidemment,

j’ai eu beaucoup de mal

à faire entrer l’imparfait du subjonctif. »

 

« Dans mon bateau, dit Noé, les mots zèbrent, fulgurent, chutent, vibrent, rayonnent, se dispersent, s’étoilent, zigzaguent, se croisent, se tressent, et se détressent, scintillent, résonnent, raisonnent, se cachent, se montrent, se cognent, s’accouplent…

« D’ailleurs ils passent leur temps à se marier, s’épouser, se conjuguer… Ils vivent ainsi conjugalement dans une conjugalité et une conjugaison sans fin, n’est-ce pas ce que l’on appelle : langage ? »*

                       

* A ce propos, je vous invite à relire le billet :Noah ou la boîte aux lettres.