Dans l’étude de la paracha chémoth, je citais ce verset qui est devenu une expression courante : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, ni ne jetez vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les piétinent de leur pieds, et que, se retournant, ils ne vous déchirent. Matt 7:6 

Je ne voudrais pas que le message de ce dit billet soit mal perçu car il est courant de dire que les chiens et pourceaux représentent les païens, ou ceux qui sont trop éloignés de la religion, et qu'il ne sert à rien de prêcher à ceux qui risquent de n'y rien comprendre, ce serait du gaspillage. Certains sont irrécupérables et il faut réserver ses forces pour ceux qui en valent la peine. 

Voilà le genre d'interprétation issue des dogmes qui empoisonnent la vie spirituelle car elle est en totale opposition avec l'Esprit qui animait Jésus. En effet, le Christ dans l'Evangile se résigne rarement à considérer comme irrécupérables certaines personnes trop pécheresses, au contraire, il se dit au service des plus petits, des exclus, et dit : « Je suis venu pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus ». Et par ailleurs, sa vie même est un contre exemple de cette interprétation habituelle que nous donnons : Il a, Lui, prêché et donné sa vie pour des hommes qui n'y ont rien compris et qui n'en étaient pas dignes, et effectivement, ils se sont retournés pour le déchirer en le mettant à mort. Mais pourtant, Il l'a fait quand même, alors faut-il faire comme dit Jésus et prendre garde, ou faire comme Il a fait Lui et accepter le risque ? 

 Pour méditer un texte quel qui soit, il nous faut examiner le contexte, donner une signification aux termes employés et avoir une certaine humilité en reconnaissant que notre interprétation a autant de valeur qu'une autre. 

 

Le contexte: 

Le verset, dont il est question, se trouve dans l'Evangile de Mathieu dans le passage qui nous présente le discours "des béatitudes". Juste avant le verset 6, il est question de jugement, de la paille et de la poutre. Le lien pourrait être de penser qu'il n'est pas bon de dire son juste jugement à l'autre qui est pécheur, ni de le juger, parceque l'on risque alors d'être jugé et dévoré soi-même, étant encore plus pécheur. 

Et puis le lien avec l'exhortation suivante : « Demandez et l'on vous donnera, frappez et l'on vous ouvrira » est une incitation non pas à donner, mais à recevoir, à demander. La bonne attitude envers l'autre pour qui nous avons de la compassion n'est pas, même si l'on considère qu'il y a du "pourceau" en lui, de l'écraser de notre perfection ou de l'éclabousser de notre bonheur, mais d'aller à la quête avec lui, dire ce qu'il y a de beau et de bon en lui. 

 Et enfin la péricope se termine par le verset non moins connu: "Faîtes pour les autres tout ce que voulez qu'ils fassent pour vous". N'est-ce pas cela l'amour : la préoccupation de l'autre, l'écoute de l'autre plus que de le bombarder de paroles et de cadeaux dont il n'a rien à faire. Si l'autre est seulement vu comme une machine à recevoir, ou pire comme un "chien" qui ne mérite même pas l'os qu'on lui donne, alors il y a toute chance que cela tourne mal et qu'il vous morde. 

La signification des mots: 

Une lecture primaire voudrait mettre les uns dans les rôles des saints et les autres dans celui des pourceaux. Mais "les chiens et les cochons" ne représentent pas particulièrement telle ou telle personne, mais la bassesse, le vulgaire, le grossier. 

Le message de l'Evangile est sacré - une chose sainte -, il faut le traiter avec respect et grandeur, ne pas le rabaisser au niveau du trivial. Or c'est une tentation dans l'Eglise, de vouloir se mettre au niveau du plus bas, et simplifier le message, banaliser les choses saintes pour se mettre au niveau de tous, voire pour racoler le chaland. Mais ce n'est pas en rabaissant l'Evangile ou la manière de le prêcher que l'on fait bien. On risque de faire tout l'effet contraire. 

 Et inversement, quand on est en position de recevoir, il ne faut pas agir comme des pourceaux mais accepter que ce que l'on reçoit est saint. Comprendre qu'il y a dans l'Evangile une force de vie qui donne la vie quand bien même elle ne semble pas combler tous nos désirs immédiats et terrestres. 

 On peut aller plus loin en considérant que les chiens et les cochons sont deux animaux impurs, il est donc question du rapport entre ce qui est saint et ce qui ne l'est pas. Cette fois l'interprétation devient personnelle. Le saint, c'est ce qui est d'ordre spirituel, divin, de l'ordre de l'amour, et les pourceaux, c'est ce qui est de l'ordre du matériel, de l'animal, de l'égoïsme et du matérialisme. Notre verset nous inviterait alors de ne pas mélanger les deux. Je veux invite à relire le billet "A chacun son dû.

  

Conclusion: 

Que faire alors de ses perles ? Ne pas s'en glorifier, ni en asperger les autres, mais en chercher encore d'autres. C'est le sens de cette autre parabole de l'Evangile de Matthieu : « Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles. Il a trouvé une perle de grand prix; et il est allé vendre tout ce qu'il avait, et l'a achetée. » (Matt 13:45,46). 

 

Pour citer Louis Pernod : L'important, en effet, ce ne sont pas tant les perles que nous avons déjà, la perfection, la sainteté que nous avons déjà, mais tout ce que nous sommes en train de rechercher et d'acquérir pour le royaume de Dieu. L'important, c'est d'être toujours en quête. La foi n'est pas un acquis, mais une dynamique de recherche. Le chrétien n'est pas un collectionneur de perles, pour s'en glorifier et les exposer, mais un chercheur de perles, un quêteur de sainteté, de vérité et de beauté. 

Cit. idem : On n'est pas riche de ce que l'on possède, mais de ce que l'on recherche. Les enfants, en ce sens, ont une certaine vérité philosophique quand ils désirent un jouet et n'en veulent plus pratiquement dès qu'ils le possèdent.

La vraie richesse, c'est le désir, c'est le non avoir, c'est la quête.

 

ANECDOTE :

Tous les dimanches après-midi, le Rabbi se tenait devant la porte de son bureau pour saluer et bénir tous ceux qui venaient le voir. Souvent, il restait debout pendant des heures au cours desquelles des milliers de personnes passaient devant lui, beaucoup en quête d’une bénédiction ou d’un conseil pour un problème personnel ou un dilemme spirituel. On demanda un jour au Rabbi comment il avait la force de rester ainsi debout toute la journée, quelques fois pendant sept ou huit heures d’affilée, pour satisfaire chacun. Le Rabbi fit un grand sourire et répondit : « Quand on compte des diamants, on ne se fatiguepas ! »